Asher avait merdé. Il avait cherché le numéro de telephone d’Aedhan dans les contacts de Julian, mais leur échange ne s’était absolument pas passé comme prévu. En même temps, à quoi est-ce qu’il s’était attendu, après des années sans échanger un mot ? Il avait été idiot de penser qu’ils pourraient avoir une conversation normale et repartir sur de bonnes bases. De toute façon, tout était sa faute. C’était lui qui avait arrêté d’écrire, comme ça, du jour au lendemain. Lui qui avait refusé de répondre aux lettres de son ami, lui faisant certainement croire qu’il avait fait quelque chose de mal. Et c’était lui qui était revenu dans sa vie – sans le savoir, bien entendu. Alors il avait pris la décision de s’éloigner un peu, de se faire oublier. La seule chose qui lui restait à faire, c’était de convaincre Julian qu’il n’avait pas besoin de lui en tant que témoin. Il ne pouvait pas assister à ce mariage, tout comme il ne pouvait plus rester dans la vie d’Aedhan et Julian. C’était mieux pour tout le monde s’il se contentait de disparaître. C’était donc pour ça qu’il s’était décidé à rendre visite à son ami en ce jour. Il ne l’avait pas vraiment prévenu, puisqu’il s’était décidé à la dernière minute en sortant de la librairie, mais il savait qu’il était chez lui. Il hésita longuement, une fois devant l’immeuble, mais finit par entrer. Il se dirigea aussitôt vers l’ascenseur pour monter jusqu’au bon étage, mais alors que les portes allaient se fermer, une main se glissa entre elles pour les en empêcher, et Aedhan entra. Le cœur d’Asher se serra aussitôt, en repensant à leur dernier échange, et il baissa la tête. Merde, il ne pensait pas le croiser ce soir… L’ascenseur se mit en branle et commença à monter dans un silence des plus assourdissants. Pour une fois, ça n’avait rien à voir avec le handicap d’Asher, et ça n’en était que plus étouffant. Il se sentait tellement mal, tellement idiot, tellement… Soudain, tout se mit à trembler et les lumières s’éteignirent. L’ascenseur s’était arrêté. Aussitôt, le cœur du libraire se mit à battre plus fort, plus vite. Il détestait être enfermé, tout ça lui rappelait indéniablement les heures enfermé dans divers placards quand son père se fatiguait de voir son visage. Il mettait généralement une chaîne autour des poignées, pour l’empêcher de sortir. Sa respiration se fit plus difficile tandis qu’il fermait les yeux. C’était idiot. Son père était six pieds sous terre, mort et enterré, et il ne s’agissait que d’une petite panne d’ascenseur toute bête. Tout serait bientôt réglé, il ne devait pas paniquer.

( Pando )

Pourquoi avait-il fallu qu’il se retrouve bloqué dans un putain d’ascenseur? Un endroit clos, totalement hermétique, qui pouvait à tout moment se detacher et les faire plonger vers une mort certaine. A présent que ses yeux étaient fermés, des images horribles se bousculaient derrière ses paupières, lui rappelaient les moments horribles passés en compagnie de son cher père. Soudain, la voix d’Aedhan retentit et il sentit sa main sur son épaule. Il commença à se détendre presque aussitôt, revenant peu à peu sur Terre. S’il était là, c’était que son père était bien mort depuis des années, qu’il ne pourrait plus jamais lever la main sur lui. Même s’il avait entendu sa voix, il n’avait pas tout à fait pu saisir les mots, trop concentré sur sa crise pour faire attention aux sons toujours un peu vagues. Il releva donc les yeux pour les fixer sur le visage de celui qui avait été son meilleur ami durant tellement d’années. Pourquoi est-ce qu’il avait merdé à ce point ? Tout ce qu’il avait voulu, pour une fois dans sa vie, c’était se protéger un peu. Il était coupable, entièrement coupable. C’était lui qui avait arrêté de répondre aux lettres, alors il ne pouvait s’en vouloir qu’à lui-même. Il avait fait du mal à Aedhan. La panique toujours aussi présente, il se concentra sur ses lèvres en voyant qu’elles se remettaient à bouger, et hocha doucement la tête. Oui, il était venu voir Julian. Il n’avait pas voulu le croiser, par peur de ne pas être capable de s’éloigner s’il le revoyait. Mais s’il s’écoutait, il avait aussi envie de le voir. Vraiment très envie. Parce que la dernière fois qu’ils s’étaient vus, ils n’avaient pas su qui était l’autre. Maintenant, la donne était différente. Au fond, il avait envie que leur relation reparte, comme avant, même s’il savait parfaitement que c’était impossible. Il essuya doucement ses larmes puis se mit à signer. C’était pour lui la façon la plus naturelle de parler, depuis des années, et savoir que son interlocuteur le comprenait était assez libérateur. « Je suis désolé. » Il soupira et marqua une pause avant de recommencer. Parler lui faisait penser à autre chose, l’ancrait dans la réalité, l’éloignait de ses souvenirs sombres. « Je venais dire à Julian que je ne viendrai pas au mariage. Je vais me faire oublier et vous laisser vivre votre vie. » Il fit une nouvelle pause et rapprocha ses genoux de son torse, comme si c’était possible. Ne pouvant plus utiliser ses mains, qui entouraient ses jambes, il prit cette fois la parole à voix haute.

« Pardon… D’avoir arrêté de te répondre. J’ai pensé que c’était la meilleure solution, pour moi, j’ai été égoïste et je m’en suis voulu pendant des années. Je m’en veux toujours, d’ailleurs. »

( Pando )